souvenirs de 1914 (8)

Publié le par caporal Henri Furbault

Camp de MESCHEDE
 
 
            Meschede est une petite ville de Westphalie, située sur la Rhurr, rivière dont la source est peu éloignée. La ville est placée dans un vallon. Tout autour, des coteaux assez élevés, sur la crête, des bois de sapins. Une ligne de chemin de fer dont le mouvement semble assez important, dessert la localité. Quelques mines se trouvent dans les environs et les usines dans la ville.
            Le camp est situé sur le flanc d’un coteau, à l’ouest de la ville. La partie occupée par les prisonniers est entourée d’une clôture en planches. De distance en distance, des observatoires pour les sentinelles, en beaucoup plus élevé, placés à l’intérieur .A l’extérieur, des canons sont braqués sur le camp. A l’est, côté Meschede, se trouvent les baraquements allemands, l’hôpital, les douches. A l’intérieur du camp, des baraques en planches, recouvertes de papier goudronné servent d’abri. Chaque compagnie est regroupée sur quatre baraques, entourées de fil de fer barbelé. Au sud se trouvent les cuisines et les cabinets, séparés des baraques par un espace servant de promenade et de terrain de jeux.
             Les baraques sont assez spacieuses et suffisamment aérées. Les cloisons sont doubles et en dessous de la toiture, un plancher. Cinq poêles dans chaque. Comme couchages : une paillasse avec fibres de bois, deux couvertures, un traversin. Comme matériel: un tabouret, un essuie-mains, une gamelle avec fourchette et couteau. Plus tard, on nous distribuera des brosses,un seau et trois cuvettes pour le lavage. De temps en temps, nous touchons du savon noir et du cirage.
            A la descente du train, le commandant du camp nous fit dire par un sous-off allemand que nous étions placés sous l’autorité allemande, que nous devions obéissance et que toutes infractions aux ordres ou désobéissances seraient punies d’après la loi martiale, loi proclamée dans toute l’Allemagne depuis la déclaration de guerre. Cette loi est très rigoureuse et, toute désobéissance ou insulte avec voies de faits, peut être punie de mort.
            Nous fûmes désignés, mes camarades et moi, pour être logés dans la baraque n° 23. Nous faisions partie de la 9ème compagnie, 2ème bataillon. Une partie des prisonniers des 314ème, 11ème et 20ème furent avec nous. Nous logeâmes au nombre de 200 : une rangée de chaque côté et une rangée au milieu. L’intérieur de la baraque était propre mais l’extérieur sale. Les travaux n’étaient pas terminés. L’eau y séjournait. Quelques prisonniers, malgré la surveillance et les appels à l’hygiène, y urinaient la nuit. Par la suite, des rigoles furent creusées et des passages empierrés.
            A notre arrivée, le temps était très mauvais : pluie ou neige. Tous les jours, dans le camp, ce n’était que de la vase. Nous étions obligés de laver entre les baraques et l’eau s’écoulait en dessous ; rien d’étonnant que la vermine s’y soit mise.
            Chaque baraque était sous la surveillance d’un gardien et des sentinelles assuraient la surveillance extérieure. Au début, beaucoup de camelots vinrent nous vendre des provisions : chocolat, tabac etc.… Ces marchandises étaient apportées en cachette par les gardiens. Nous craignions tant de ne pouvoir rien nous procurer, que nous payions très cher ce que l’on nous proposait. Les revendeurs profitaient de notre ignorance pour nous escroquer : 5f les 100g de chocolat, 1f50 la margarine, 2f le lait condensé etc. ce qui valait en réalité la moitié normalement.
            La nourriture était mauvaise, bonne pour des animaux, pas pour des hommes. Même qu’en certaines fermes, les cochons étaient mieux nourris que nous l’étions. Le matin, du « café » fait avec des glands ou orge grillé. A 10h1/2, de la choucroute, une soupe à l’herbe ou au rutabaga. Le soir, orge bouilli, grains entiers ou écrasés, ou « colle » avec du pain écrasé. Pour changer, on nous donne de temps en temps, des petits morceaux de saucisse, de fromage de la dimension d’une pièce de 5f et épais de 5mm : 2 par homme, parfois de gros poissons bouillis, des harengs saurs. Le pain fait de seigle et de pommes de terre était noir comme le pain d’épices : 250g par jour et par personne. Les 15 premiers jours, je ne touchais guère à la nourriture, elle me dégoûtait. Il me restait toujours la moitié de ma ration. Je la donnais à des prisonniers civils, plus anciens que nous, qui venaient nous demander ce que nous avions en trop. Ils nous faisaient de la peine, très amaigris, prisonniers depuis six mois, ils n’avaient rien touché de chez eux.
            Vu le temps que mettait la correspondance à nous arriver, nous prévoyions, pour nous aussi, un état aussi lamentable. La plupart d’entre nous avions peu d’argent et ce peu nous a été enlevé à notre arrivée. Ce n’est que plus tard que nous le récupérâmes sous forme de marchandises. Au bout de 15 jours, les hommes de notre section étaient bien affaiblis et certains d’entre nous, à leur tour, mangeaient les restes des camarades.
            IL m’a été donné de voir, pendant mon exil à Meschede des faits vraiment tristes et émouvants : avec nous, il y avait des Russes, c’est parmi eux, surtout, qu’étaient les plus affamés. Un grand nombre stationnait autour des cuisines et allaient fouiller parmi les détritus. Je les ai vus manger des arêtes de poissons, des épluchures de pommes de terre ou de rutabaga. J’en ai vu même, ramasser, près des cabinets, des os, enfouis dans la vase et l’urine, les laver et mordre dedans. Je me rappelle, on déchargeait des pommes de terre aux cuisines. Les fossés étaient pleins de boue. Des sentinelles veillaient à ce que personne n’en chaparde. En portant un sac, il se déchire et son contenu s’éparpille à terre. Malgré les sentinelles, tous ces affamés se précipitèrent se remplir les poches. Pour cela, il leur fallait, dans la boue jusqu’aux genoux, y plonger leurs mains. Il fallut des coups de crosses de la sentinelle pour les éloigner. C’est triste. Je ne pensais pas que la faim pouvait occasionner des actes pareils. J’ai eu faim quelques fois, mais n’ai jamais eu l’idée de ramasser des saletés pour les manger.
            Par la suite, l’ordinaire fut changé. La ration de pain fut diminuée et nous touchâmes des pommes de terre en plus. Nous souffrîmes de la faim jusqu’à ce que les premiers colis arrivassent.
            Nous changeâmes de baraque, mais, avant, il nous fallut loger d’autres prisonniers, lesquels étaient couverts de vermine, poux. Nous étions propres, mais, à leur contact, tout fut infesté : paillasses, couvertures et nous-mêmes. Malgré une grande propreté, nous eûmes tous quelques uns de ces parasites.  
            Nous logeâmes alors dans le n°22 avec des flamands et des méridionaux. Les gens du nord nous reçurent mal et nous en gardons de mauvais souvenirs. Nous couchâmes plusieurs nuits sur la planche car ils nous refusaient les paillasses. Les méridionaux furent plus gentils. Enfin, à la longue, nos rapports s’améliorèrent et nous fûmes un peu mieux logés.
            Au bout d’une quinzaine de jours après notre arrivée, l’on commença à en envoyer au travail chez des cultivateurs ou des industriels. Les autres travaillaient à l’aménagement du camp.
            Nos rapports avec nos gardiens étaient cordiaux. Ils nous apportaient des provisions et des marchandises de la ville. Plusieurs Allemands parlaient couramment le français, mais les renseignements que nous pûmes en retirer sur la guerre, avaient, parmi nous peu de créance. Pour rire, nous leur disions : « Berlin, capout ! », ils nous répondaient : « Non ! Paris capout! ». Leurs journaux excitaient le patriotisme en exaltant leur force et en annonçant beaucoup de prisonniers et de morts du côté des alliés. Nous recevions des journaux rédigés pour nous, imprimés en français : « la gazette des Ardennes » et « le Bruxellois ». Ils contenaient des communiqués Français, Russes, Allemands. Nous n’y croyions guère car ils annonçaient surtout les succès allemands, peu importants, il est vrai. Selon eux, la situation était plutôt stationnaire. Tous les jours, nous apprenions des nouvelles plus ou moins fantaisistes. Un jour, c’était une grande victoire française, le lendemain, au contraire, c’était une défaite. Toutes ces nouvelles étaient plutôt déprimantes et, au bout d’un certain temps, nous n’avions plus confiance en rien. On nous aurait appris la fin des hostilités que nous n’y aurions pas cru.
            Enfin, le 15 avril, nous apprîmes que nous devions tous évacuer le camp à destination de Merseburg, en Saxe. Nous partîmes le 17 avril à 9h1/2 par le train, dans des wagons à voyageurs.
            Le voyage fut intéressant. Nous traversâmes une région de plaines. De Metz à Meschede, les régions traversées étaient industrielles, de Meschede à Merseburg, plutôt agricole. Ce qui nous surprit le plus, ce fut la grande quantité de lièvres que nous y vîmes. Groupes de 4, 5, même 6 parfois. Bonne contrée pour les chasseurs. La population était plutôt calme. L’on nous envoya des baisers et on nous jeta des pierres. Nous arrivâmes vers 11heures du soir après être passés par Leinefeld, wolkramshauser, walhausen, halle.
 

Publié dans guerre de 14

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