souvenirs de 1914 (6)

Publié le par caporal Henri Furbault

Les 7, 8, 9 et 10 février, la compagnie prit les avant postes au village de Xon. Le service était diminué donc moins pénible. Le 10 février au soir, nous allâmes relever la 19ème sur la côte de Xon. Les deux premiers jours, rien d’anormal. Les abris étaient devenus confortables mais insuffisants. Le génie travaillait, le 3ème jour à faire des cuisines et compléter les grandes tranchées qui entouraient la crête. Nous étions tout joyeux à l’idée que dans deux jours, nous devions descendre au repos à Pont à Mousson.
            Le 13 février, une pluie fine tombait le matin et nous vidâmes plusieurs fois les boyaux de la boue qui en garnissait le fond. Vers 11 heures, l’ennemi commença à bombarder. Nous n’y prêtâmes aucune attention car il ne se passait pas un jour sans que nous ne recevions quelques obus. Dès la relève des sentinelles, il fallait s’y attendre. Certaines fois, ces bombardements étaient continus. Nous étions donc loin de nous douter que l’ennemi préparait une sérieuse attaque.
             Ma section, la 3ème, avec l’adjudant Colardier, était de réserve à l’abri n° 2 et fournissait deux sentinelles à l’observatoire d’artillerie face à Norroy. La 1ère section du lieutenant Sauveton était au téléphone, la 4ème section du capitaine Gilbert aux cuisines et la 2ème de l’adjudant Cuzini en réserve dans le bois.
            Nous avions déjeuné et je devais faire nettoyer les boyaux à 1h1/2 si le feu de l’artillerie ennemie diminuait. Au lieu de diminuer, celui-ci augmentait et nous restâmes dans l’abri. Au début, une seule batterie tirait des « fusants » depuis Buxière. Bientôt, les « marmites » se mirent de la partie et 3 batteries crachèrent sans interruption, des 77, des 105 et des 210. Il nous en venait de tous les côtés, ça tombait partout. A chaque «  marmite » qui passait au-dessus de notre abri, notre bougie s’éteignait l’explosion nous soulevait de nos bancs. Peu après le début du bombardement, l’abri n°3 s’écroulait sous l’éclatement d’une marmite, ensevelissant une dizaine d’hommes de la 4ème section, faisant plusieurs blessés dont un sous-officier du génie. Des hommes allèrent travailler au déblaiement mais l’artillerie continuait ses tirs meurtriers. Nous eûmes plusieurs blessés et les sentinelles placées à l’observatoire côte de Norroy furent ensevelies avec quelques hommes qui s’y étaient abrités. Les tranchées étaient totalement bouleversées, surtout sur la crête, et il ne restait guère que certaines parties de boyaux et les abris 1 et 2 indemnes. Le téléphone avait été coupé par les obus peu après le début du bombardement. Nous étions donc isolés et le capitaine ne pouvait renseigner notre propre artillerie.
            A midi environ, l’on nous cria : « Alerte ! ». Plusieurs coups de fusils venaient de se faire entendre. Nous nous précipitâmes hors de nos emplacements respectifs.
            Déjà, l’ennemi nous entourait, utilisant les trous d’obus pour se protéger. Nous fûmes surpris par cette attaque, par sa rapidité et par le fait que l’ennemi ait pu s’approcher si près sans avoir été signalé par les sentinelles. Il est vrai que le vacarme de la canonnade était tel qu’aucun autre bruit n’était perceptible. D’autre part, à l’observatoire, les sentinelles étaient sous les décombres de leur poste, celles qui étaient en poste sur le petit bois, en bas de la côte en direction de Buxière, se tenaient à l’abri dans les tranchées pour éviter les obus, n’assurant donc plus de surveillance. Quand elles purent relever la tête, le Allemands étaient arrivés à une quinzaine de mètres environ. Une des sentinelles, le soldat Pouzet, tira plusieurs fois sur eux mais, atteint d’une balle, il s’écroula, blessé, mort peut être. Lautre sentinelle et le caporal furent faits prisonniers et emmenés par les Allemands.
            Pendant ce temps, sur la crête, une fraction ennemie importante nous avait contournés par le sud sans la moindre résistance pendant qu’une autre nous enveloppait par le côté nord de Norroy. L’emplacement de combat de notre section, se trouvait à côté de l’observatoire, face à Norroy. Nous essayâmes de nous y diriger, mais les tranchées étaient tellement bouleversées, qu’il n’en restait plus aucune trace. Plusieurs d’entre nous durent faire demi tour. Les Allemands tiraient de tous côtés, ils étaient à moins de dix mètres, dissimulés dans des trous d’obus. Guerry et Langron, par un grand miracle, eurent la vie sauve. Guerry, sur le point d’être pris réussit à nous rejoindre. Quant à Langron, que nous croyions mort, nous avons appris plus tard, il avait réussi à se replier dans le bois.
            Une partie de mon escouade et de la section, une douzaine d’hommes environ, dont l’adjudant Colardier, les sergents Dudognon et Chauveau, les caporaux Darety et moi-même, restâmes dans le boyau de communication.
             Je plaçai huit hommes sur la côte sud-est avec ordre de tirer sur une section ennemie qui tentait de passer, en rampant, sous les fils de fer. Les autres restèrent face à Cheminot et Norroy. Les bords du boyau étaient hauts et nous dûmes mettre des morceaux de bois dans le fond afin de nous surélever et pouvoir tirer. Nous dûmes faire face de tous côtés. Je restai dans un angle avec Darety, Dorange, Demay et nous tirions à tour de rôle. Quand le magasin de l’arme était vide, nous le rapprovisionnions pendant que les autres tiraient à notre place. Nous voyions. Nous voyions les Allemands au bout de notre abri, à cinq ou six mètres. Les premiers furent tués. De notre côté aussi, plusieurs tombèrent : le sergent Charmeau, deux autres que nous n’identifièrent pas car certains avaient disparu : Compain, Micheneau, le sergent Pichot et d’autres. Nous déblayâmes le terrain mais l’ennemi avança en force côté Norroy et Mousson en utilisant le remblai. De notre abri, nous ne restions que sept ou huit, trois ou quatre fusils étaient inutilisables. Nous espérions du renfort pour nous dégager, mais rien ! L’ennemi arrivait dans le boyau, ils étaient une cinquantaine, baïonnette au canon.
            Voyant que les groupes du sergent Dudognon et de l’adjudant Colardier se rendaient, je prévins mes hommes que toute résistance était inutile, nous aurions été tués jusqu’au dernier sans aucun résultat.
            De l’escouade, il ne restait que Guerry, Baillarge, Bourliaud et moi. Les autres avaient été tués ou étaient portés disparus. Nous fûmes désarmés et conduits aux officiers Allemands. Une vingtaine des nôtres étaient déjà là. Nous fûmes dirigés, sous escorte en arrière du front des combats. Il était 3 h ½ ou 4 h.  à suivre
           

Publié dans guerre de 14

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